Voilà maintenant 15 ans que les libéraux sont au pouvoir à Queen’s Park. Au cours des dernières années, deux fois plutôt qu’une, les progressistes-conservateurs ont perdu des élections que la lassitude de l’électorat à l’endroit du Parti libéral les destinait pourtant à gagner. Mais en 2018, la première ministre Kathleen Wynne, exécrée d’une proportion rapidement grandissante de la population, pourrait subir une défaite fracassante face à Doug Ford, un rival qui suscite pourtant bien des interrogations.

À quelques jours du début officiel d’une campagne électorale qui sera sans doute riche en controverses, quel portrait peut être tracé des forces en présence et de la situation sociopolitique de l’Ontario?

Des sondages unanimes

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Les sondages se suivent et se ressemblent : tous indiquent une tendance lourde en faveur des progressistes-conservateurs et une désaffection marquée des électeurs envers les libéraux, dont les appuis voisinent ceux des néo-démocrates. Ainsi, en date du 20 avril, une agrégation des sondages faits depuis le début de l’année montrait les troupes du Parti progressiste-conservateur en avance avec 43 % des intentions de vote, les libéraux loin derrière à 26,6 % d’appuis et les néo-démocrates à 23,3 %.

Tenter d’interpréter des données provinciales au niveau local est toujours un exercice hasardeux. Quelques approximations peuvent néanmoins être calculées. Ainsi, dans l’état actuel des choses, le parti de Doug Ford pourrait remporter 90 sièges, celui d’Andrea Horwath 21 et celui de Kathleen Wynne, 13.

Un bilan controversé

Comment les libéraux en sont-ils arrivés là? Quiconque sait interpréter les humeurs de la population constate que la plupart des électeurs ne sont pas dupes des promesses et programmes qui fleurissent soudain en fin de mandat et qui renvoient l’image de politiciens aux abois prêts à tout pour « acheter » des votes en se montrant généreux de l’argent des autres. Mais en ce qui concerne les libéraux, le mal est plus profond.

Le parti a fait l’objet de cinq enquêtes criminelles depuis son arrivé au pouvoir en 2003. L’actualité récente a remis à l’avant-plan ce fait gênant avec la condamnation, en janvier dernier, d’un ancien chef de cabinet du premier ministre Dalton McGuinty, jugé coupable d’avoir fait disparaître de l’information relative au coût exorbitant de l’annulation de la construction de deux centrales au gaz. Le coût de cette décision, qui s’inscrivait alors dans une dynamique électorale, se chiffre à plus de 1,1 milliard $, un montant que les libéraux avaient délibérément caché à la population.

Il ne s’agit là que d’un des nombreux scandales de gaspillage que ce parti traîne comme un boulet. En termes de gestion des fonds publics, les libéraux se sont d’ailleurs acquis une piètre réputation. Par exemple, la dette publique, qui se montait à 132,6 milliards $ pour l’exercice financier 2002-2003, atteindra selon toute vraisemblance 325 milliards pour l’exercice 2018-2019. Le paiement des intérêts sur la dette constitue aujourd’hui, en importance, le troisième poste de dépenses du gouvernement après la santé et l’éducation. L’Ontario est maintenant l’entité non-souveraine (villes, provinces, etc.) la plus endettée au monde et a même commencé à toucher des paiements de péréquation pour la première fois de son histoire en 2009.

S’ajoutent à ce bilan, entre autres choses, des tarifs d’électricité qui ont grandement augmenté et d’importantes pertes d’emplois dans le secteur manufacturier, toutes des raisons expliquant le profond mécontentement populaire.

Portrait des chefs

Qui sont-ils, que font-ils? Voici un bref aperçu de la carrière des chefs des trois principales formations.

Kathleen Wynne, leader du Parti libéral, est née le 21 mai 1953 et détient une maîtrise en linguistique et une maîtrise en éducation aux adultes de l’Université de Toronto de même qu’une formation en médiation de l’Université Harvard. Avant de se lancer en politique provinciale, elle a notamment été conseillère scolaire.

Élue députée en octobre 2003, elle s’est vue confier les fonctions de ministre de l’Éducation, puis de ministre des Transports et finalement de ministre du Logement, des Affaires municipales et des Affaires autochtones. Lorsqu’elle est devenue Première ministre en février 2013, elle s’est aussi attribuée le portefeuille du ministère des Affaires intergouvernementales et, pendant quelque temps, celui du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation.

Andrea Horwath, comme Mme Wynne, « fait partie des meubles » à l’Assemblée législative. La chef du Nouveau Parti démocratique (NPD), née le 24 octobre 1962, est députée dans la ville de Hamilton depuis mai 2004. C’est aussi dans cette ville qu’elle a vu le jour et où elle a étudié, obtenant un baccalauréat ès arts en études ouvrières de l’Université McMaster. Décidément enracinée dans son coin de pays, elle fut conseillère municipale à Hamilton de 1997 à 2004 après y avoir travaillé dans le domaine social.

Mme Horwath est devenue chef du NPD en mars 2009 et s’ingénie depuis à faire de son parti, habituellement confiné à la marginalité, une véritable force politique.

Quant à Doug Ford, né le 20 novembre 1964, sa présence dans le paysage politique doit beaucoup à sa famille. Son père, fondateur de l’imprimerie Deco Labels and Tags, a été député progressiste-conservateur sous Mike Harris. Au début des années 2000, ses fils ont repris en main l’entreprise mais le cadet, Rob, s’orienta plutôt vers la politique municipale.

La suite de l’histoire, bien connue, n’a pas besoin d’être répétée. Soulignons seulement que c’est dans l’ombre de son frère que Doug Ford a fait ses premières armes en politique en lui succédant comme conseiller dans son fief d’Etobicoke. Aux termes de son mandat de maire, Rob Ford, miné par un cancer, dû renoncer à se représenter et Doug se substitua à lui dans la course, finissant second derrière John Tory. En janvier dernier, la démission en catastrophe de Patrick Brown ouvrit les portes de la chefferie du Parti progressiste-conservateur aux ambitions de Doug Ford.

Des programmes contrastés

De la même manière que nous nous sommes arrêtés aux seules biographies des chefs des trois formations les plus connues, penchons-nous à présent sur les politiques mises de l’avant par ces mêmes partis.

En date d’aujourd’hui, le Parti libéral n’a pas encore rendu publique sa plateforme électorale. Il faut dire que le gouvernement s’est échiné, au cours des deux dernières années, à satisfaire de tant de manières tous les segments de la population qu’il ne lui reste guère plus de politiques à promettre. En somme, le dernier budget fait office de programme pour le parti : garderie gratuite pour les enfants de 2 ans et demi à 4 ans, investissements de 300 millions $ pour les élèves ayant des besoins particuliers, médicaments sur ordonnance gratuits pour les aînés de 65 ans et plus, 650 millions $ pour les soins à domicile, etc. Dès lors, il s’agira bien davantage, pour la formation, de défendre son bilan et de se présenter comme la mieux placée pour défendre le concept d’État-providence.

Cela complique la tâche au NPD qui doit alors chercher à se démarquer comme le véritable représentant de la gauche. Le NPD, dont le programme électoral est connu depuis le 16 avril, souhaite accroître la part du secteur public en ce qui touche au réseau hydro-électrique et estime ainsi pouvoir parvenir à des baisses de tarif de 30 %. Dans la tradition socialiste canadienne, le parti a aussi de grands projets relativement au domaine de la santé, voulant notamment offrir une assurance-dentaire et une assurance-médicaments à tous les Ontariens. Les garderies deviendraient gratuites pour les familles gagnant moins de 40 000 $ par année tandis qu’elles seraient accessibles pour les autres au coût de 12 $ par jour par enfant. Création de 15 000 lits de soins de longue durée, conversion des prêts étudiants en bourse, promotion de la recherche et du développement dans le secteur manufacturier, etc., voilà quelques autres politiques promises.

Tant les libéraux que les néo-démocrates se sont prononcés pour la mise en place d’une université franco-ontarienne. Dans son programme dévoilé en novembre dernier, le Parti progressiste-conservateur appuyait aussi l’idée, mais depuis, la formation s’est donné un nouveau chef qui, bien qu’ouvert à ce projet, reste néanmoins évasif sur le degré d’engagement qu’il entend prendre pour le mener à bien. Fidèle à son ancrage à droite, le parti préfère concentrer son attention sur les baisses d’impôt (22,5 % pour les Ontariens de la classe moyenne), la réduction de la facture d’électricité, un plus grand contrôle des dépenses publiques, l’implantation d’une loi sur l’intégrité et l’imputabilité, la suppression de la taxe sur le carbone, etc.

Un dossier à suivre

En début mai, le parlement sera dissout et les élections auront lieu le 7 juin. Il n’en tiendra alors qu’aux électeurs à départager le vrai du faux, le bon du mauvais et de choisir leur futur.

PHOTO : Queen’s Park. À qui le grand prix électoral?