Premier président noir de l’Afrique du Sud et symbole de la victoire contre l’Apartheid, Nelson Mandela est décédé le 5 décembre dernier à Johannesburg entouré de sa famille. Ses valeurs, le combat qu’il a mené avec abnégation tout au long de sa vie, sont aujourd’hui unanimement célébrées dans le monde entier. « Il a prêché et mis en pratique la réconciliation », a rappelé le président sud-africain Jacob Zuma, lors d’une cérémonie dans une église méthodiste, en appelant ses concitoyens à faire vivre cet héritage d’unité.
Son discours, prononcé le 11 février 1990 dès sa sortie de prison, après plus d’un quart de siècle d’incarcération à Robben Island, avait profondément marqué. Pas de rancune ni de désir de vengeance dans ses propos, mais au contraire, ouverture, espoir et fraternité. C’est que rarement, un homme d’État aura réussi à faire l’unanimité autour de ses qualités morales et de son engagement politique comme l’a fait Rolihlahla (fauteur de troubles en Xhosa) du vrai prénom de Mandela.
Fondateur et dirigeant de la branche militaire de l’ANC en 1961, après une lutte non-violente contre les lois de l’apartheid mises en place à partir de 1948, Nelson Mandela est arrêté en 1962, sur indication de la CIA, alors qu’il était déguisé en chauffeur de taxi. Accusé d’avoir organisé une grève et quitté illégalement le pays, il est condamné à cinq ans de prison. Alors qu’il purge sa peine, une dizaine d’autres membres de l’ANC sont arrêtés à leur tour. Mandela est lui aussi mis en cause et poursuivi pour accusations de « sabotages, de trahison, de liens avec le parti communiste sud-africain et de complot pour une invasion du pays par l’étranger ».
Commence alors le « procès de Rivonia » le 9 octobre 1963. Le jeune avocat noir en ressort condamné à la détention à perpétuité le 12 juin 1964.
Embastillé dans l’île prison de Robben Island sous le numéro matricule 46 664, il y passera 18 de ses 27 années de prison. Durant cette longue période de détention, Nelson Mandela apprend l’histoire des Afrikaners (groupe racial blanc de souche néerlandaise, alors détenteur du pouvoir politique et économique) et leur langue, l’afrikaans. Pour mieux comprendre la mentalité de l’oppresseur. Ce sera l’acte fondateur de sa politique de réconciliation entre Noirs et Blancs.
Face à la pression internationale, de plus en plus croissante contre le régime de l’apartheid, le gouvernement sud-africain finit par assouplir les conditions carcérales de Mandela : le 7 décembre 1988, il est autorisé à regagner son domicile mais est assigné à résidence surveillée.
Au terme de négociations secrètes avec les président Pieter Botha puis Frederik de Klerk, le plus célèbre des prisonniers au monde est enfin libéré le 11 février 1990, événement retransmis en direct sur la planète entière.
Prix Nobel de la paix en 1993 avec le président Frederik de Klerk, Nelson Mandela accède, une année plus tard, à la magistrature suprême de la République d’Afrique du Sud à la suite des premières élections générales multiraciales du 27 avril 1994. Sa politique de réconciliation nationale est une main tendue aux anciens oppresseurs, là où beaucoup à sa place auraient nourri des velléités de vengeance. Un geste inédit qui achèvera de faire de Mandela une légende vivante, une divinité planétaire, un leader de la paix.
Après un seul bail de cinq ans, le premier président noir d’Afrique du Sud renonce à la charge suprême. Une geste d’une grandeur politique certaine. Une leçon administrée à tous ses pairs du continent africain qui s’accrochent contre vents et marées au pouvoir. À tous les gouvernants qui caressaient des rêves de règne ad vitam aeternam, Nelson Mandela venait de se poser en anti-conscience.
Le plus bel hommage que les Africains pourront rendre à Nelson Mandela sera de perpétuer son héritage moral et de défendre partout ses valeurs et ses idées. La leçon de pardon, d’humilité, et d’amour du prochain, c’est encore lui Madiba, premier président noir de l’Afrique du Sud, dont nombre d’usuriers politiques prétendent s’inspirer aujourd’hui. Malgré tout, Blancs et Noirs restent encore souvent à distance, et l’Afrique du Sud contemporaine ne parvient pas à mettre fin à un « apartheid social » qui perdure.
Tant qu’il était en vie, et même mourant, son aura naturelle et sa stature d’autorité morale tenaient en bride les sentiments de révolte dans un pays où la réconciliation nationale n’a pas été suivie du développement économique et social escompté. Ses compatriotes, qui le pleurent, sauront-ils s’élever au rang d’héritiers de Mandela ou se contenteront-ils d’être ses pâles successeurs? Face à cette kyrielle d’interrogations, il semble que l’Afrique du Sud, vient de perdre un « père » et le reste du monde, un repère.