À 9 h 51, le mercredi 22 octobre, un homme de grande taille, identifié plus tard comme Michael Zehab-Bibeau, cheveux longs et keffieh sur le visage, surgissait derrière le caporal Nathan Cirillo, qui gardait le cénotaphe à Ottawa. Deux coups de feu. Le soldat s’écroule. Et un troisième coup de feu en direction du second garde. Puis, tranquillement, Michael Zehab-Bibeau s’éloigne vers sa voiture, dont les plaques ont été retirées. Il fait un dangereux demi-tour dans la circulation et vient se garer à l’entrée de la Colline parlementaire. Il est 9 h 52. Il descend de son véhicule, et court vers une voiture ministérielle stationnée devant le bâtiment est. Il s’en s’empare, faisant fuir le chauffeur. Il ne restera que quelques secondes dans cette nouvelle voiture, le temps d’atteindre l’entrée du bâtiment principal du Parlement, poursuivi par les forces de l’ordre. Il y force son passage en blessant deux agents de sécurité. Il sera abattu, et c’est un des nombreux symboles de cette journée, par le sergent d’armes Kevin Vickers, que le public connaissait pour son rôle protocolaire. C’est lui qui ouvre les séances parlementaires, en uniforme un peu désuet, coiffé d’un tricorne, et portant la masse parlementaire, qui représente l’autorité royale qui accorde à la Chambre des communes le pouvoir de se réunir et de décider des lois du pays. Mais c’est aussi un ancien soldat d’élite, garant de la sécurité de la Chambre.
Le Parlement et les bâtiments du centre-ville sont restés confinés jusqu’à 22 h. Mais le public pouvait avoir des nouvelles des travailleurs et des députés par le biais des réseaux sociaux. En attendant, les rumeurs les plus folles courraient. Des « sources policières » assuraient qu’il y avait trois tireurs, dont un sur le toit. Certains témoignaient d’une course poursuite. À la mi-journée, la police d’Ottawa a donné une conférence de presse au cours de laquelle elle n’a répondu à aucune question, alimentant l’effroi.
Cette attaque est à mettre en relation avec celle qu’avait connue le Canada deux jours plus tôt. Un jeune déséquilibré, Martin Rhéaume, récemment converti à l’Islam et « autoradicalisé », s’en est pris, au volant de sa voiture, à deux militaires, en tuant un sur le coup, avant de lui-même perdre la vie au cours de la course-poursuite qui a suivi.
En fin de journée, le premier ministre du Canada, le chef de l’opposition Thomas Mulcair et le leader du Parti libéral Justin Trudeau ont fait des discours. Sur la forme, ces discours se ressemblent : appels au rassemblement, à l’unité, déclarations d’absence de peur… Mais sur le fond, on note des différences de taille. En particulier entre le premier ministre et ses deux opposants. Si M. Harper a assuré que « le Canada ne se laisserait pas intimider », Justin Trudeau et Thomas Mulcair ont appelé à ce que le Canada ne change rien à son état d’esprit ouvert et pacifique.
Le lendemain, le sergent Kevin Vickers faisait son entrée dans la Chambre des communes, portant la masse et le sabre au clair. Les députés des cinq partis se sont tous levés, et l’ovation qui a suivi a duré plusieurs minutes. M. Harper a donné une accolade à MM. Mulcair et Trudeau. Mais des questions se posent tout de même : comment assurer la sécurité des lieux de pouvoir tout en les gardant accessibles? Comment concilier sécurité et respect des droits et des libertés individuelles et collectives? Et surtout : est-ce que cette attaque a changé le Canada?
Photo : Le 22 octobre, le caporal Nathan Cirillo a été tué alors qu’il montait la garde au cénotaphe à Ottawa.